Le lien social et l'argent
Le premier lien social du bébé est celui qui le relie à sa mère, dans une relation fusionnelle qui va durer plusieurs mois.
La partie la plus visible de cet échange est le lait qui coule du sein maternel et qui apporte à l'enfant la nourriture, la vie, le sentiment de satiété et de sécurité.
Premier échange, premier don relié au don de la vie, générateur de la première dette, qui est la dette de la vie de l'enfant envers ses parents.
Certains psychanalystes considèrent que ce premier échange va structurer le fonctionnement intra psychique de l'individu tout au long de sa vie, et influencer de manière inconsciente mais réelle ses relations ultérieures avec ses semblables, et avec la société dans son ensemble.
L'argent est souvent désigné comme du "liquide" (on paie en liquide, l'argent coule à flots), et les liens entre l'argent et la nourriture sont nombreux dans la langue : "manger de l'argent", "être plein aux as" (comme un bébé est repu de lait) etc.
A relation mère/enfant paisible et nourrissante, relations ultérieures du sujet (relativement) équilibrées et harmonieuses avec ses semblables et circulation satisfaisante de l'argent.
A relation mère/enfant perturbée, lien social ultérieur et circulation de l'argent plus problématiques.
Une étude psychosociologique réalisée en 1989 semble illustrer cette hypothèse.
Elle analyse les relations clients bancaires avec l'argent et avec leur banque.
L'une de ses conclusions est que la relation est relativement harmonieuse pour les individus dont la personnalité est stable et équilibrée, et plus ou moins gravement perturbée (compté débiteur, conflits etc) pour les individus dont la personnalité est plus ou moins gravement instable.
Ces derniers perçoivent plus souvent l'argent comme un objet diabolique ou comme une drogue, et la banque comme une instance parentale toute puissante et parfois abusive, et ils tendent à projeter sur elle leur agressivité.
La cohésion au sein de notre société repose sur les échanges de produits ou de services entre les individus, créant ainsi des liens sociaux.
Toutefois, cela nécessite que ces échanges soient réciproques et équilibrés.
Or, cette condition n'est pas toujours évidente, car la contribution de chacun au bénéfice des autres corps de métiers (chacun de nous travaille pour d'autres corps de métiers) est souvent inégale.
De ce fait, des dettes se forment entre les membres, générant un enchevêtrement de dettes réciproques et illimitées.
Comment peut-on alors résoudre cette situation ?
C’est exactement l’argent, en tant que reflet de la valeur des biens, qui va permettre de régler et d'effacer ces dettes, d'harmoniser les échanges entre les divers membres de la cité, et de faciliter de nouvelles transactions.
Dans cette optique, l'argent constitue un lien fondamental et essentiel entre les membres d'une même communauté, tant sur le plan économique que politique.
Aristote décrit l'argent comme un « substitut du besoin », ce qui signifie qu'il sert de garantie et d'équivalent à ce besoin.
Ce besoin, à la base, est avant tout le besoin que nous avons les uns des autres.
Illustration contemporaine : Les industriels, les entreprises de services, les professions libérales, les artisans, les commerçants, les journalistes, les fonctionnaires, les artistes, et d'autres encore, mettent à ma disposition tout ce dont j'ai besoin pour vivre et entretenir des relations avec mes proches et ma communauté.
Cela inclut la nourriture, les vêtements, le logement, les moyens de transport, les outils de communication, les moyens de paiement, ainsi que des activités culturelles..
C'est pour générer des revenus me permettant d'accéder à ces biens et services que je m'engage dans un travail au service des autres, en tant que conducteur de train à la SNCF, cadre bancaire, avocat, charcutier, haut fonctionnaire ...
Parce qu'il représente une valeur universelle et peut être échangé contre presque tout, l'argent agit comme un fluide magique qui circule de main en main à travers la chaîne sociale et économique.
Il sert de contrepartie, d'instrument de paiement et d'impulsion pour les échanges économiques, et par conséquent, pour les relations humaines.
La qualité des liens sociaux représente un enjeu crucial pour notre avenir collectif. Leur affaiblissement nuit à tous ceux qu'ils soutiennent et nourrissent, et il est dans notre intérêt de veiller à leur vitalité.
Comment pouvons-nous y parvenir ?
Première attitude : saisir les enjeux entourant le lien social. Identifier les éléments qui le renforcent et ceux qui le perturbent. Réaliser cette analyse avec d’autres personnes en étant vigilant. Se sentir collectivement responsable, avec nos pairs, de la vitalité et de la qualité des liens qui nous unissent, tant au niveau local qu'international.
Seconde attitude : devenir un bon économiste dans notre environnement habituel. À l'origine, le terme économie fait référence à l'art de bien gérer un foyer, ce qui implique, entre autres, de tenir des comptes précis et équilibrés. Être un bon économiste du lien social (et de l’argent) signifie d’abord garantir que nos relations et transactions avec autrui soient justes, c'est-à-dire basées sur la recherche de l’équité. Cela inclut également la quête de sources de revenus, que ce soit par notre travail ou d'autres moyens, afin de vivre de manière décente et, si possible, de façon autonome.
Troisième attitude : apporter, selon nos capacités, notre contribution au renforcement ou à la réparation du lien social. Cela peut s’exprimer de diverses manières, à travers des activités variées. Cela inclut également les différentes formes d'action sociale ainsi que la création ou la gestion d'une entreprise pour générer des richesses économiques.
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